lundi 7 mars 2016

Schizophrénie et Vin 2.0 : suite

Pour poursuivre l'article précédent, et les enseignements que l'on peut tirer du palmarès 2016 du concours général agricole, on peut donc noter que beaucoup des vins figurant au palmarès ne sont pas forcément ceux qui présentent les meilleures garanties de bonification au vieillissement mais on peut également noter que ceux qui sont récompensés sont les plus "techniques", en comparaison avec des vins dits traditionnels.
On différenciera les vins techniques des vins traditionnels par l'utilisation importante de matériels ou d'intrants : thermovinification, copeaux ou équivalents. Or, ces éléments on un impact très important sur le profil sensoriel et gustatif des vins. Ma petite expérience peut vous assurer qu'il tient aujourd'hui du miracle pour un vin d'obtenir une médaille sans qu'il soit élaboré tout ou partie avec la thermonvinification et/ou des copeaux. Oui, un vin fait uniquement de raisin et éventuellement d'un peu de levure sélectionnée n'a aujourd'hui pratiquement aucune chance d'être médaillé à Paris.
Et là, on tombe en pleine schizophrénie. Alors que ceux qui parlent au nom des consommateurs ne jurent que par des vins plus authentiques, plus proches de ce qu'il se faisait autrefois croit-on, ce sont les vins pour lesquels la technique est plus importante que la qualité intrinsèque du raisin qui plaisent.
Au secours....
Nous nageons en plein paradoxe, alors que tout le monde parle de terroir, de son respect et d'identité, ce sont les vins qui mettent en avant la maîtrise technique plus que le goût du raisin qui remportent les suffrage des consommateurs.
Pour moi, il en est du consommateur-roi comme de l'enfant-roi, on en perd le rôle de l'élevage pour le vin et de l'éducation pour l'enfant. Et nous allons droit dans le mur en klaxonnant; alors je milite pour une retour des professionnels au centre du jeu. Que seraient un match de foot ou de rugby sans arbitre, une parodie de sport. Pour certains vins médaillés, on est pas loin de la parodie aujourd'hui. Mais les professionnels ne doivent pas être des censeurs porteurs d'une vérité absolue, ils doivent être des pédagogues et expliquer aux consommateurs que leur jugement n'est pas juste et qu'ils font fausse route en prenant pour éternelle une qualité qui n'est que passagère, surtout sur des vins rouges non conditionnés.


jeudi 3 mars 2016

Concours général agricole, Consommateurs, Schizophrénie et Vin 2.0

Les résultats du concours général agricole 2016 pour les vins ont été donnés dimanche dernier.
Comme chaque année, il y a les heureux, les surpris et les déçus. Ce concours est le plus réputé de part son antériorité et du fait qu'il s'enorgueilli d'avoir parmi ses jurés une large palette de consommateurs, et que ces résultats sont donc représentatif des goûts des consommateurs, que l'on oppose parfois à ceux des professionnels.
A la lecture du palmarès pour l'appellation Bordeaux, et quand l'on connaît le dessous des cartes il est à noté certains enseignements.
Notre société ultra connectée, gage de démocratie directe dit-on, considère les avis des consommateurs d'un produit ou des utilisateurs d'un service comme vérité intangible ferme et définitive. Selon cette logique, le palmarès du concours général agricole 2016 vaut donc vérité du goût des consommateurs en 2016. Soit.
Cependant, en tant qu'expert, ou professionnel de la dégustation, je vois une évolution depuis maintenant une décennie. A l'initiative des organisateurs de concours, une part de plus en plus large est faite aux amateurs (éclairés?) dans les jury, alors qu'auparavant il fallait justifier d'une expérience en dégustation pour postuler. J'ai ainsi participé, et continue à le faire quand cela est possible à des jury de concours. Force est de constater que si certains amateurs dégustent très bien et possèdent un goût sûr et affirmé, d'autres jugent plus le vin à l'instant T de la dégustation sans en apprécier toujours la potentialité.
Voilà qui selon moi pose un véritable problème pour le vin.
En effet, un concours doit normalement récompenser les meilleurs vins de leur appellation, c'est à dire ceux dont les caractéristiques gustatives et olfactives doivent se confirmer et s'accroître dans la durée.
Or depuis quelques années maintenant, les vins issus de la technique de thermovinification (vendange chauffée à environ 70°C avant d'être vinifiée) rencontrent de réels succès dans les concours, en particulier à Paris, et trustent ainsi les palmarès. Alors, c'est donc ce qu'il faut faire, puisque le consommateur à toujours raison!
Mais les consommateurs ne seraient-ils pas en train de tromper les acheteurs futurs du vin médaillé?
Je m'explique.
Le vin est quoi qu'on en pense un produit très technique, fruit de nombreuses opérations qui en déterminent les arômes et le goût. Le vin est une oeuvre profondément humaine.
Il est une technique mise au point dans les années 60 pour des vins de grande consommation : la thermovinification, qui se répand désormais comme la rumeur sur Facebook. Elle consiste à chauffer la vendange fraîchement récoltée à près de 70 °C puis à conduire la vinification. Cette technique a été initialement prévue pour traiter de la vendange insuffisamment mûre ou pourrie.
Or, elle permet d'obtenir des vins très flatteur, de type primeur, au nez (Beaujolais primeur) en éliminant les arômes verts des vendanges pas assez mûres. De même, elle permet d'obtenir des vins très ronds et souples en bouche et une saveur intense de fruit. Les vins élaborés avec cette technique connaissent une succès croissant auprès des fameux consommateurs rois, et ils trustent donc les palmarès des concours, comme celui de Paris 2016.
Mais, alors que les mêmes consommateurs, ou ceux qui parlent en leur nom, revendiquent des vins respectueux de leur origine, peu consommateurs d'intrants et de technique, ces vins 2.0 sont tout le contraire. Tout d'abord, parce que la thermovinification nivelle les qualités et homogénéisent les styles. Ainsi, un merlot de Bordeaux, de Béziers, du Chili ou d'Espagne vinifiés de la sorte se ressembleront comme 2 gouttes de vin. D'autre part, les caractéristiques flatteuses de ces vins le sont essentiellement sur les vins jeunes (moins de 1 an). Elles ne persistent en effet pas dans le temps.
Or, la majorité pour ne pas dire la totalité des vins médaillés dans les concours ne sont pas encore en bouteille. Ils vont donc encore évoluer. Contrairement aux vins vinifiés de manière traditionnelle, les vins thermovinifiés voient leur qualités de jeunesse diminuer sans être potentialiser par le temps. Mais il faut  connaître le vin pour en mesurer la potentialité de bonification avec le temps. La plus grande place réservée aux consommateurs dans les jurys de concours ne permet plus de médailler un vin pour une potentialité, mais on juge le produit à l'instant T.
J'ose affirmer ici, et n'en déplaise à beaucoup, qu'au concours de Paris aujourd'hui ne sont plus en majorité récompensés les vins rouges ayant le meilleur potentiel de vieillissement, y compris même à court terme. Les mêmes consommateurs vont donc se retrouver à acheter des vins médaillés ne possédant plus tout à fait ou plus du tout les qualités pour lesquelles ils ont été récompensés. Le consommateur sera déçu, et incriminera les vins de la région concernée en considérant que les producteurs les ont bernés. Que nenni, le consommateur aura été trompé par d'autres consommateurs incapables de se projeter dans l'avenir et incapables de juger une potentialité.
Et comme les producteurs cherchent quant à eux à plaire aux consommateurs dans les concours, ils utilisent les méthodes qui marchent accélérant ainsi la perte d'identité de leur production et surtout la perte de l'aptitude des vins à vieillir de manière positive en développant finesse aromatique et élégance des tanins.
Si les choses continuent ainsi, tous les vins finiront par se ressembler, et c'est un oenologue qui vous le dit!
La seule différenciation sera alors le marketing ou le prix, et je ne suis pas sûr que les vins français soient équipés pour un tel combat.
Alors ne donnons pas aux consommateurs un pouvoir de jugement qu'ils ne sont pas tous capables d'avoir, pour le bien du consommateur lui même. Sinon, nous finirons tous schizophrènes à faire le contraire de ce que nous pensons être bien pour les consommateurs.



mardi 21 juillet 2015

Le mystère du vin bio

Je reprends mon clavier en ce moment estival pour vous narrer une énigme : "le mystère du vin bio".
Alors, évidement on ne peut appréhender toute chose que de son propre point de vue et à travers sa propre expérience.
Je ne revendique donc pas tout connaître sur le vin bio, et mon opinion se nourrit d'une expérience essentiellement bordelaise.
On n'a jamais autant parlé des vins bio depuis ces dernières années. En 2008, une politique volontariste exprimée dans le Grenelle de l'environnement par monsieur Borloo fixait le cap vers une augmentation des surfaces viticoles cultivées en "bio". Des professionnels se sont engagés avec foi dans cette voie, forts aidés par deux années 2009 et 2010 à la climatologie favorable. Il faut trois années dites de conversion avant de pouvoir afficher fièrement sur ses bouteilles le logo Bio.
En 2012, alors que jusque là le vin était issu de l'agriculture biologique, il est devenu bio lui-même, subtilité qui a d'ailleurs plus générée de confusion dans l'esprit du consommateur qui croyait jusque là boire du vin bio. Mais bon, passons ces subtilités administratives et saluons un élan citoyen de ceux qui ont décidé de franchir le pas.
Oui mais voilà, il est du bio comme de tout le reste, si on veut bien vivre de sa production, il faut que celle-ci trouve des consommateurs prêts à payer un prix équitable.
Et c'est là que le mystère du vin bio s'épaissit. Avant 2008, les cours du vrac du vin bio étaient en moyenne au moins 50% plus cher que celui du vin dit conventionnel. Il faut savoir que cultiver des vignes en bio revient entre 10 et 30% plus cher qu'en agriculture raisonnée. Mais l'augmentation, bien que raisonnable, de la production de vin bio a entraîné une baisse des cours qui sont aujourd'hui sensiblement équivalent aux autres vins. Vous avez donc compris, produire bio coûtant plus cher,la marge du producteur s'en voit réduite comme peau de chagrin. Alors qu'on ne voit pas une semaine sans une dénonciation de l'utilisation de pesticides de synthèse en viticulture, dans le même temps, on explique aux producteurs qu'il n'y a pas de marché pour les vins bio, et que donc on ne peut leur acheter plus cher que les autres.???? Mystère, vous avez dit mystère. Il y a bien un mystère dans ce paradoxe. Problème de qualité, dirons certains, les vins bio sont moins bons que les autres. C'était sans doute vrai il y a 20 ans, mais aujourd'hui, je mets au défi quiconque de faire la différence à l'aveugle entre un vin bio et un vin dit conventionnel. Objection réfutée votre honneur, il va falloir trouver autre chose.
Les gens veulent du bio, les gens veulent du bon, mais ils veulent soit-disant du pas cher.
Or, tous ceux qui vendent en direct vendent plus facilement leurs vins les plus chers. L'argument du low cost n'est donc pas valable. Alors, poker menteur entre production et distribution, certainement comme toujours, où c'est à celui qui aura la meilleure marge qui gagne. Mais le dindon de la farce, c'est bien le consommateur dans tout cela.
Ce que je vais dire me vaudra peut-être un procès en diffamation mais il se murmure tout bas entre négociants et producteurs que non, il n'y a pas de marché pour le bio, mais que bon on veut bien vous l'acheter quand même, au même prix que les autres vins, pour vous rendre service mais on se fout de la certification et donc du logo qui va avec. Il se rajoute même que ces lots de vins bio en vrac sont assemblés avec des vins conventionnels issus d'une partie de la viticulture non raisonnée pour... je vous laisse deviner,  réduire les taux de certains résidus de pesticides dans les marques distributeurs ou de négociants. Et oui, le grand avantage du vin c'est que ça se mélange bien! Il y a donc un marché pour le bio, mais le consommateur ne la sais pas puisque les vins bio qu'il consomme sont assemblés avec d'autres vins, ce qui empêche ainsi l'utilisation du logo identifiable.
Alors elle est pas belle la vie? Allez, santé, si je peux m'exprimer ainsi, les "bios" travaillent pour cela.


mercredi 8 octobre 2014

Isabelle Saporta : Vino tristesse

Le vin a un privilège, il fait parler de lui, tout le monde a son avis sur la question, surtout en France.
Le dernier opus en date a été diffusé hier soir sur France 3.
Que penser de cette vision du monde du vin dans le bordelais et en bourgogne? Je vous avoue, je n'en sais rien. Je connais tous les protagonistes présents dans ce documentaire, je ne peux donc imaginer comment ce film a pu être reçu par le français moyen qui ne connaît ni les tenants ni les aboutissants de ce petit monde.
Pour ma part, je peux en démonter les contre vérités et les petites manipulations.
Si les personnages présentés dans ce film sont tous bien réels, la réalisatrice leur a assigné des rôles télégéniques pas toujours en prise avec la réalité.
Quant aux investisseurs qui s'accapareraient à prix d'or le foncier au détriment des gentils autochtones, s'est un fait. Mais regardons plus loin que le bout de notre nez, ou de nos idées politiques. Le premier danger qui menace nos terroirs aujourd'hui est la pression foncière des villes. Dans les  appellations où le foncier viticole n'a pas atteint les prix de Pomerol, nos meilleurs terroirs partent en terrains à bâtir. Ceci à moins de 15 km de Pomerol, j'aurais aimé que dans sa défense d'une viticulture de tradition, madame Saporta dénonce ce fait, cette disparition de nos terroirs pour faire des lotissements sans aucun caractère.
Et même, elle aurait pu se réjouir que les prix du foncier à Pomerol soit aussi élevé, protégeant là même ces terroirs de la spéculation immobilière de la ville de Libourne toute proche. Et je peux affirmer ici que si l'ha de Pomerol était au même prix que celui de l'Entre deux Mers, l'appellation aurait perdu 30% de ses surfaces depuis 2000.
Egalement comment juger la manière dont est présenté l'art de l'assemblage à Bordeaux comme de l'alchimie. C'est de l'ignorance madame Saporta, à Bordeaux depuis les origines, les vins de châteaux sont issus d'assemblages de plusieurs cépages. Cela est parfaitement légal et ne relève d'aucune manipulation mais de l'histoire séculaire bordelaise. Alors la moindre des choses pour une enquêtrice est de se documenter. En bourgogne, par contre, chaque clos ou cru est bien issu d'un seul cépage non assemblé. Mais les cultures bordelaises et bourguignonnes sont différentes.
Enfin, madame Saporta se veut défendre les petits, les sans grades. En 2013, un cataclysme s'est abattu sur le vignoble bordelais à moins de 10 km des endroits arpentés par l'équipe de madame Saporta : la grêle. Elle aurait alors pu faire quelques kilomètres pour aller se rendre compte de la dure réalité de la viticulture, et sortir d'une vision romantique passéiste parisienne.
Elle aurait vu des vignerons pleurer, comme je l'ai vu, devant leurs vignes ravagées, se demandant comment ils allaient s'en sortir. Mais non, madame Saporta préfère poursuivre son idée : dénoncer une culture polluante qui abuse de produits phytosanitaires, jetant l'opprobe sur toute une filière qui génère 2 milliards d'euros de balance positive pour notre balance commerciale. Pourquoi par là même ne pas dénoncer aussi la pollution générée par nos Airbus, qui rapportent autant au pays que le vin.
Mais ces bons sentiments de protection du consommateurs oublient une réalité essentielle mais évidemment inconnue de ceux qui ne connaissent pas les réalités du travail de la vigne : la grande difficulté de trouver des ouvriers viticoles dans un pays qui connait pourtant plus de 10% de chômage. Car oui, madame, et malgré toute la bonne volonté des vignerons qui voudraient se passer de pesticides en viticulture bio, il est aujourd'hui très difficile de trouver des gens qui acceptent de revenir aux pratiques que vous jugez comme un retour rêvé à la tradition. Sans compter qu'il faut aussi expliquer aux consommateurs que s'ils veulent des vins plus respectueux de l'environnement, il va falloir qu'ils acceptent de les payer un peu plus chers que les 3.5 euros, prix moyen d'une bouteille à Bordeaux.
Alors madame, quand on s'attaque à un sujet, il vaut mieux le potasser avant de se laisser guider par des intérêts particuliers, aussi louables soient-ils. Et au lieu de caricaturer l'utilisation des pesticides, vous seriez plus utile en posant intelligemment les enjeux de société et économiques. D'ailleurs cela concerne plus généralement l'agriculture, comme vous l'avez d'ailleurs dénoncé par ailleurs. Mais au final, cela coûtera plus cher au consommateur.
Pour conclure, je citerai Coluche qui dans un de ces sketchs disait :"Alors, comme ça, on nous explique que les bons c'est les pauvres et les méchants c'est les riches? Et pourtant tout le monde veut devenir méchant!"
Allez, encore un effort d'intelligence pédagogique madame, et vos combats seront réellement utiles à nos sociétés, mais pour cela il faut savoir sortir du manichéisme politiquement orienté.
Après Mondovino, je dois vous avouer que j'en ai marre de voir le vin utilisé à des fins de démonstrations politiques plus ou moins fumeuses, le vin mérite bien mieux. Le monde du vin n'est ni plus, ni moins que le reflet de notre société avec ses excès et ses travers. Votre démonstration sociale et politique pourrait tout autant marcher avec le fromage ou les légumes. Alors, s'il vous plait, lâcher nous les grappes! Au final d'ailleurs, on se demande si vous n'avez pas fait ce documentaire à de pures fins de promotion personnelle. On peut dire que de ce point de vue là, vous avez réussi votre coup.
Bien à vous.

mercredi 2 avril 2014

2013 : Retour sur terre

Le grand show de la semaine des primeurs se déroule à Bordeaux depuis le .... 1er Avril. Le calendrier est bien coquin.
Mais cette date semble aussi être un must politique, alors remanions, remanions!
Quels enseignements tirer des dégustations des échantillons qui nous sont généreusement servis cette semaine?
Pour ma part, un seul mot me vient à la bouche : retour sur terre.
La décennie qui vient de s'écouler nous avait sans doute fait perdre le sens de certaines réalités terriennes. L'arrivée des financiers dans les vignobles avait accentué cette déconnection avec le réel. Nous avions quitté nos bottes pour des escarpins vernis. Mais voilà, la pluie les a tout crotté et nous voilà planté au milieu de nos parcelles, les pieds dans la boue, sans pouvoir mettre un pied devant l'autre et risquer de glisser et de crotter aussi nos beaux costumes. Métaphore bien sûr.
Mais, en 2013, la nature a pris un malin plaisir à défaire ce que les hommes avaient eu tant de mal à construire. Parmi cela, figurent les hiérarchies savamment établies à coup de relations, d'influences et de notes.
Mais voilà, retour sur terre, dame nature nous rappelle à des réalités qui nous dépassent et à notre devoir d'humilité. Tous les terroirs ne se valent pas, et comme disent les bretons : "c'est bien dans la tempête que l'on juge des qualités du marin".
2013 va donc remettre au centre du jeu les grands terroirs.
Pour cela, la bourgogne a quelques siècles de recul supplémentaires à Bordeaux, et les grands terroirs sont bien à juger les années où la nature ne nous épargne rien. Un peu comme un capitaine dans le gros temps qui ramène son bateau au port, quand les autres vont s'échouer.
Alors, remercions 2013 de nous permettre de remettre certaines choses à leur place.
Encore un peu de patience et d'ici 5 ans nous pourrons remettre certaines pendules à l'heure (d'été).
Patience, patience.

mercredi 12 février 2014

Extrait de Rambaud 2012

Les vignobles Mouty viennent de voir l'un de leur vin récompensé et obtenir l'Oscar des Bordeaux.
La cuvée en question est L'Extrait de Rambaud 2012. Cette cuvée plus que confidentielle par le volume a été distinguée parmi plus de 200 candidats au départ.
Evidemment, cela vient récompenser la qualité du travail de toute une équipe et du propriétaire qui a su se donner les moyens de réussir dans un contexte difficile.
Pour bien connaître la propriété depuis plusieurs années, j'ai assisté et même contribué à la naissance de cette cuvée. Depuis sa création, son volume à été multiplié par 10 en moins de 10 ans. Une croissance que même les chinois peuvent nous envier.
Il n'y a pas de hasard à cette réussite. A sa base, il y a une vraie réflexion "marketing" de positionnement du vin et de définition de son goût. Le résultat est là et vient désavouer ceux qui pensent que le marketing est un gros mot dans le monde traditionnel du vin.
Les vignobles Mouty ont une histoire, ils sont encrés dans la tradition bordelaise, cela ne les empêchent pourtant pas d'avoir une vraie démarche marketing ainsi qu'une stratégie commerciale cohérente.
Ces vignerons connaissent parfaitement leurs marchés et leurs clients, et c'est chaque fois un vrai plaisir de travailler les différents assemblages de leurs cuvées. Car, si chacune reflète une origine et donc un terroir, leur style est néanmoins travaillé pour s'intégrer avec cohérence dans une gamme.
La cuvée Extrait de Rambaud est la dernière créée et elle bénéficie au maximum de l'effet de gamme.
Il est donc tout à fait réjouissant que la qualité de cette cuvée ait été aussi reconnue parmi de très nombreux vins de son appellation. Cela permet de démontrer qu'une bonne analyse marketing doublée d'une approche technique adaptée permettent un succès commercial ainsi qu'une reconnaissance qualitative.
Je me réjouis de ce constat car il valide parfaitement le concept de Wine Design décrit dans le "Marketing du goût" et enseigné aujourd'hui en école de commerce et d'oenologie.
L'Extrait de Rambaud 2012 est mis en bouteille ces jours-ci, je vous invite donc à le découvrir dans les prochains mois, avec modération bien sûr.

dimanche 3 novembre 2013

Leçon d'économie

La très sérieuse banque Morgan Stanley prévoit une pénurie de vin dans les années à venir.
Faut-il se réjouir de cela?
Si l'on considère que le prix des matières premières fluctuent en fonction de l'équilibre offre/demande et que les prix montent quand la demande est supérieure à l'offre, alors oui, on peut se réjouir de cela.
Après une décennie de vaches maigres pour les vins d'entrée et de milieu de gamme, voit on enfin le bout du tunnel?
Pas sûr. En effet, les revenus d'une exploitation viticole dépendent du revenu par hectare obtenu en multipliant le prix du litre de vin par le volume produit.
Pour que les prix du litre puissent augmenter, il faut que le pouvoir d'achat des clients augmente dans les mêmes proportions, sinon à pouvoir d'achat constant, les clients achèteront moins de vin avec la même somme, rééquilibrant ainsi offre et demande.
Le seul moyen pour accompagner la demande tout en respectant le pouvoir d'achat des consommateurs est donc d'augmenter les rendements.
Ne rêvons donc pas, le pouvoir d'achat des ménages dans l'ensemble des pays consommateurs n'est et ne sera pas à la hausse, mais bien plutôt à la baisse. La demande croissante de vin ne s'accompagnera donc pas forcément d'une augmentation des prix proposés aux producteurs, elle sera en tout cas limitée et ponctuelle.
Ne pas respecter le principe de réalité nous conduirait donc à un réveil brutal avec perte de nos clients.
L'époque est pourtant favorable à un rééquilibrage du rapport de force en faveur de la production, mais une vision courtermiste serait contre productive pour les producteurs. Attention aux recettes faciles et parfois démagogiques déjà appliquées : distribution de droits de plantation sur des terroirs non adaptés.
Profitons de l'époque pour adapter, au moins à Bordeaux, notre vignoble à ces nouvelles opportunités. Augmentons nos densités de plantation, comme cela est déjà le cas depuis le début des aides à la restructuration, nous pourrons ainsi produire plus par hectare en conservant une qualité minimale nécessaire à nos produits. Les revenus ainsi obtenus par les producteurs augmenteront sans que les clients n'y contribuent.
Attention donc à la tentation du gain immédiat et préférons une vision à moyen terme bien plus payante, surtout dans l'objectif de valorisation de marque.
Profitons de la période qui s'ouvre pour améliorer la valeur de nos marques collectives en consolidant leur position et en évitant la facilité de l'ouverture des vannes à tout va qui nous conduira à terme à une casse certaine de nos vignobles.
Le pire n'est jamais sûr, retenir les leçons du passé ne l'est pas tout autant.
Répondre à l'offre doit donc se faire en augmentant la quantité de vin produite par hectare mais en adaptant nos vignobles par une augmentation des densités de plantation qui nous permettront de maintenir un niveau qualitatif indispensable dans la compétition mondiale.
Le vrai courage politique, c'est dans l'air du temps, serait donc d'accorder des rendements par hectare en fonction des densités de plantation. Mesure difficile à prendre sans doute mais vrai gage de justice et d'égalité des coûts de production et de garanti d'un niveau qualitatif moyen à nos productions mais aussi porteuse de sens sur le long terme.